samedi 11 février 2012

Le véritable portrait de la peine capitale

La sortie du sénateur Boisvenu sur le suicide “assisté” en prison continue de faire des vagues et se dirige vers le rétablissement de la peine capitale. Malgré toute la bonne foi qui m’habite, je ne peux faire autrement, en lisant les arguments des fanatiques du sénateur, d’y voir une déformation de la réalité en lui donnant une couleur rose.

J’ai pris la peine de lire chacun des arguments et de faire des recherches pour constater que ces derniers sont très éloignés de la réalité.

Le premier argument soulevé est celui relatif aux coûts de la détention d’un condamné. La Duke Univerity a fait une étude à ce sujet en mai 1993 qui démontre que la peine capitale coûte $2.16 millions de plus que la détention à vie à la Caroline du Nord.

Palm Beach Post, quant à lui, rapportait en janvier 2000, que la peine capitale coûte chaque année $51 millions de plus que la prison à vie à l'État de la Floride. Fait intéressant à noter, l’analyse portant sur 44 exécutions depuis 1976 a démontré que chaque exécution coûte près de $24 millions

Le Dallas Morning News, en mars 1992, rapportait qu’au Texas, la peine capitale coûte en moyenne $2.3 millions, soit 3 fois les coûts d'une détention à vie, dans une cellule individuelle au degré maximal de sécurité pendant 40 ans

J’aimerais rappeler que la Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît à chacun le droit à la vie et précise «Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.» La simple lecture de ces dispositions démontre que la peine capitale viole ces droits humains fondamentaux. Il reste incompréhensible qu’un État puisse à la fois interdire le fait de tuer tout en le pratiquant lui-même. Rappelons également, comme le soulignent Claude Emanuelli et Jean-Maurice Arbour, que les normes internationales relatives aux droits humains se situent au-dessus du droit national.

On ne cesse de répéter que la peine capitale n’a aucun effet dissuasif. Aux États-Unis, pays souvent cité en exemple à suivre pour la peine capitale, il est plus élevé dans les États qui pratiquent l’exécution capitale que dans ceux qui y ont renoncé.

On semble sous-estimer le nombre d’erreurs judiciaires. Pourtant, en avril 2007, on rapportait que depuis 1973 aux États-Unis, 123 personnes condamnées à mort ont été libérées après que la preuve de leur innocence a été faite.

Aussi, en terminant, soulignons que la peine capitale est utilisée de manière disproportionnée contre des gens à faible revenu ou des personnes appartenant à une minorité. Citons à titre d’exemples, les États-Unis où la part des Afro-Américains condamnés est supérieure à la moyenne, l’Arabie Saoudite où elle touche avant tout les travailleurs et travailleuses étrangers. La peine capitale est souvent prononcée pour homosexualité (comme le Nigeria,l’ Arabie Saoudite), pour des délits liés à la drogue (comme l’Indonésie, la Malaisie) ou pour vol, corruption ou fraude fiscale (comme la Chine)

jeudi 2 février 2012

M. Boisvenu, quelques faits sur la peine capitale

Lorsque j’entends parler de la peine capitale, surtout à tort et à travers, je grince des dents. Je suis sensibilisée aux condamnations erronées depuis l’Affaire Christian Ranucci. J’en ai fait mon sujet de rédaction lors de mon cours en littérature comparée, durant ma Licence en droit. Alors, si vous me permettez, M. Boisvenu, je vais vous éclairer un peu sur le sujet.

En 1976, la peine capitale a été supprimée du Code criminel du Canada, le Parlement est venu à la conclusion que la peine capitale n'était pas une peine appropriée. Nous pourrions expliquer cette décision sur le fait que la possibilité de risque de condamnations erronées existait, sur le fait pour l'État de mettre fin à la vie d’une personne et que l'efficacité de la peine capitale comme moyen de dissuasion semblait inefficace

La peine capitale pour meurtre fut remplacée par une peine obligatoire d'emprisonnement à perpétuité sans admissibilité à une libération conditionnelle pour une période de vingt-cinq ans dans le cas du meurtre au premier degré et pour une période variant entre dix et vingt-cinq ans dans le cas du meurtre au deuxième degré.

Quelles étaient les infractions passibles de la peine capitale au Canada? Si on remonte en 1859, les infractions punissables par la peine capitale au Canada étaient les suivantes : le meurtre, le viol, la trahison, le fait d'administrer un poison ou de blesser un individu dans l'intention de commettre un meurtre, le fait d'infliger de mauvais traitements à une fillette âgée de moins de dix ans, la sodomie avec un homme ou avec une bête, le vol qualifié causant des blessures, le vol avec effraction comportant des voies de fait, l'incendie criminel, faire nombrer un navire et déployer un faux signal qui porte atteinte à la sécurité d'un navire (liste non exhaustive)

Cependant, en 1869, seules les trois infractions étaient punissables par la peine capitale, soit le meurtre, le viol et la trahison.

En 1961, le ministre conservateur Davie Fulton a réussi à faire adopter en chambre une loi qui amendant le code pénal, doréanvant seul le meurtre dit « qualifié » est désormais passible de la peine capitale. Le meurtre punissable par la peine capitale était le meurtre planifié ou intentionnel, le meurtre commis lors de la perpétration d'un autre acte de violence ou le meurtre d'un policier ou d'un gardien de prison. Il s'agissait des seuls crimes de meurtre punissables par la peine capitale.

Le 10 décembre 1962, Arthur Lucas et Robert Turpin ont été les derniers individus exécutés au Canada. Ils furent les 709e et le 710e personnes exécutées au Canada depuis l’entrée en vigueur de la peine capitale en 1859.

En 1966, les Communes refusèrent une nouvelle fois d'abolir la peine capitale, dans une proportion de 143 voix contre 112.

En 1967, alors qu’un certain Pierre Elliott Trudeau était ministre de la Justice, un projet de loi proposant l'emprisonnement à vie en cas de meurtre (la peine capitale est maintenue lorsque la victime est un policier en service ou un gardien de prison) fut adopté à 105 voix contre 70 à titre d'essai pour cinq ans, puis ré adopté à 13 voix de majorité en 1973.

Le 14 juillet 1976, la peine capitale a été abolie au Canada, sauf pour certaines infractions prévues dans la Loi sur la défense nationale.

La Chambre des communes a adopté par une faible marge le projet de loi très controversé du gouvernement Trudeau sur l'abolition de la peine capitale. La solution de rechange proposée fut une peine d'au moins 25 ans de prison pour un meurtre au premier degré.

Ce projet de loi fut adopté à la mi-juillet en lecture finale par un vote de 130 contre 124, un résultat plus serré encore que le vote de deuxième lecture. Le 16 juillet, le projet de loi est approuvé par le Sénat et reçoit l'assentiment royal.

Rappelons qu’ en 1987, un vote libre sur le rétablissement de la peine capitale a eu lieu à la Chambre des communes. Le résultat du vote était de 148 contre 127 en faveur du maintien de l'abolition de la peine capitale.

En 1998, le Parlement a aboli totalement la peine capitale dans le cadre de l'adoption de la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence, L.C. 1998 ch. 35.

Maintenant les chiffres : Avant l'abolition de la peine capitale au Canada, 1 481 personnes avaient été condamnées à mort et 710 de celles-ci avaient été exécutées. De ce nombre, il y a eu 697 hommes et 13 femmes.

Au Canada, l'abolition de la peine capitale est considérée comme un principe de justice fondamentale. Rappelons, M. Boisvenu que le Canada a joué un rôle de premier plan sur la scène internationale dans la dénonciation de l'application de la peine capitale.

La Cour suprême du Canada (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l'Immigration) , [2002] 1 R.C.S. 3 ) a conclu qu'avant d'ordonner l'extradition d'un individu pour une infraction donnant ouverture à la peine capitale, le Canada doit, sauf dans des circonstances exceptionnelles, demander à l'État demandeur de lui fournir des garanties selon lesquelles la peine capitale ne sera pas appliquée.

En terminant, j’aimerais vous rappeler, M. Boisvenu, que le Canada a ratifié le Pacte international sur les droits civils et politiques ; le Premier Protocole additionnel du Pacte ; la Convention sur les Droits de l’Enfant ; la Convention contre la Torture et les traitements et punitions cruels, inhumains ou dégradants ; et le Statut de la Cour Pénale Internationale (qui interdit le recours à la peine capitale).

Le Canada a également co-sponsorisé la résolution contre la peine capitale de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU le 24 avril 2003 et le 21 avril 2004.

Source: Schabas, William, The death penalty as cruel treatment and torture capital punishment challenged in the world's courts, Boston Northeastern University Press , 1996